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L’ADAPTATION D’UN CONTE

L’adaptation d’un conte
par Catherine ZARCATE

Il y a du chineur, dans le conteur. Car les contes se trouvent bien souvent comme endormis dans des livres, attendant le conteur qui enfin les dénichera, les trouvera splendides et remarquables, aura envie de les conter, bref, les éveillera et leur donnera une seconde vie.
J’aime chercher ces récits demi-oubliés. Quand j’en trouve un, je le considère comme un trésor. Il peut être écrit sans recherche, ou au contraire dans le style fleuri d’une époque, il peut être une notation d’ethnologue, quelques lignes dans un récit de voyage ancien, ou un résumé dans un livre savant. Peu importe sa forme, car elle ne durera pas ! L’important est la rencontre, « le coup de foudre » entre l’histoire, ses personnages, ce qu’elle dit, et le conteur. Les mots viendront ensuite.
Il y a là un feu : le feu de la rencontre. Le conteur est séduit. Mieux vaut alors en faire un feu couvant qu’un feu de paille ! Conter le récit aussitôt que trouvé, c’est le perdre. Car le proverbe dit : « Le temps rejette ce qui a été fait sans lui ».
Le conteur « porte » alors son conte comme une gestation et l’« écoute ». C’est le temps de la « nidification » : le conte trouve sa place dans la psyché du conteur et vient de temps à autres lui « parler », le faire rêver, réfléchir, ou même pleurer !

Durant cette gestation le conteur s’informe, se documente, devient un chercheur dilettante, pour s’imprégner et préciser sa vision. Il fait des cercles concentriques dont le centre est le conte choisi et la circonférence l’étendue de son esprit musard et curieux ! Car il ne faudrait pas voir un chalet Suisse là où le conte parle d’un palais d’Orient ! Nez au vent, il se promène dans les musées, expositions d’art ou d’artisanat, écoute des musiques, va au cinéma, voyage... Parfois, c’est l’occasion de la découverte d’un peuple, d’une autre manière de vivre et comprendre le monde.
En réalité, le conteur part à la rencontre de lui-même, parfois sans le savoir – mais le conte l’a hameçonné et mis en quête ! Il se transforme, se nourrit, remet en question ses valeurs, évolue. Il faut savoir accepter cela. Durant cette phase, plus le conteur approfondit son contact avec le conte et sa culture, reçoit sa richesse humaine et ses symboles de manière intime, plus lors de son dire, il sera roi : libre dans son expression, à l’aise dans ses gestes, clair et fort dans ses images, en phase avec lui-même. C’est cela le vrai travail du conteur.

L’étape suivante est une clé : c’est le moment paradoxal et très profond, où le conte devient pur film dans la vision du conteur, qui n’a plus aucun mot en lui. Ce vide de mot est essentiel. Là commence l’art du conteur. Voilà pourquoi on ne retrouve plus un mot de sa source dans la version d’un conteur et c’est pourtant la même histoire !
Une fois ce vide atteint, le conte est prêt et le conteur éprouve le désir de le raconter. Qu’il forme son texte à l’avance ou le laisse surgir dans l’immédiateté, cela appartient à la confiance qu’il a en son travail en amont, en sa maîtrise de la langue, en sa capacité de présence à l’instant, ou tout simplement à son degré choisi de prise de risque.
Le conte dit une première fois, le voici né. Ensuite, il va se peaufiner naturellement à chaque fois qu’il sera conté, pour aboutir à une forme élaborée, en profonde communion avec le conteur, qui lui appartient et fait état de son style, est porteur de son expérience de vie, de sa philosophie, ses intérêts, de son humour, de sa vision du monde, bref, « lui va comme un gant ». Cet état du conte s’appelle la « mise en bouche ». C’est là que le conteur est inimitable et devient auteur de sa version : le même conte dit par quelqu’un d’autre n’a rien à voir.
On comprend donc mieux ainsi combien le travail d’adaptation d’un conte est souterrain. Quand, avec le temps, la mise en bouche est tellement « en place » que le conte a une forme optimisée quasi cristallisée, il est temps d’en faire un livre !