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REFLEXIONS
Littérature orale rurale vers une littérature orale urbaine
Rencontres CMLO de septembre 2006, par Catherine Zarcate

Littérature orale rurale vers une littérature orale urbaine

Rencontres CMLO de septembre 06
Contribution de Catherine Zarcate

Sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, j’aimerais amener en préambule la nécessité de distinguer clairement entre relation au monde rural et relation à la nature.

Conteur et relation à la nature

Me sentant originellement de tradition nomade, je crois que je rends compte de manière fidèle cette sorte de relation à la nature, sensible au mouvement, et à la symbolique.
Je ne me sens pas appartenir au monde rural mais je me sens tout à fait appartenir à la nature et savoir m’y nourrir et m’y ressourcer.
Dans les contes, c’est bien plus la nature que le milieu et la structure rurale qui fonde mon travail, autant dans sa réalité que son plan symbolique.
Cette nature et sa dimension symbolique, je les sens présents dans mes récits, même s’ils se passent apparemment en milieu urbain.
Et je pourrais expliciter le fondement de mon répertoire en montrant combien j’ai cheminé tout simplement vers l’eau, depuis les terres arides du désert.

Un récit se place toujours pour moi sur une base de nature, qui doit m’être claire et avec laquelle je me sens en affinité de paysage. J’ai eu longtemps plus de facilité à dire un conte merveilleux qui se situait dans un paysage désertique ou semi aride que dans la forêt verte et profonde. Sans doute les mémoires ancestrales jouaient là un grand rôle, alors même que je suis née et ai vécu en milieu urbain.
Le paysage du terre sèche, semi désertique, est essentiel dans mes premiers récits, les corpus orientaux (1001 Nuits, Antar, Salomon). Souvent citadins, ils jouent du contraste entre les illuminations de la ville et les paysages du désert. La ville comme oasis, « miracle dans le désert », disent les Nuits.
La relation de Salomon à la nature est magnifiée au possible par l’usage qu’il fait de l’anneau, parlant à la nature au complet.
Je compte aussi comme relation à la nature, la relation physique sensuelle et symbolique de l’héroïne des Fils du Vent avec la terre mouillée (dans le modelage) ; ou la dimension symbolique de la traversée de la rivière, pour atteindre le campement des gitans. Si bien qu’au delà des circonstances urbaines de l’histoire, le plan symbolique de la nature joue son rôle.
Quant à mon répertoire chinois, il est très aquatique et en lien profond avec le « jade » : la relation aux morts dans la tradition chinoise.

On pourrait donc parler, pour le conteur, de paysages qui serviraient son répertoire en tant que paysages « connus » ou à explorer au contraire.
Au plan symbolique et poétique, on pourrait parler d’un paysage intérieur, ou plutôt d’un paysage naturel, inhérent à sa nature d’homme.
Pour parler ainsi, je me fonde sur le fait que les humains sont des êtres naturels, qui font partie de la nature et dont on peut dire, d’une certaine manière, qu’ils portent la nature en soi. A cause de cette conception, je crois que chacun peut se relier à la nature à sa manière et y trouver des racines profondes là où les acquis peuvent avoir manqué.
Peut-être est-ce à cause de cela aussi que nous avons bien du mal à intégrer « en nous » les paysages urbains…
En tous cas c’est cela que je tente de contacter aussi en un public urbain, sans m’occuper réellement de son habitat. Car à mon idée, si l’habitant des villes a perdu de vue les structures du monde rural et souvent ses valeurs, il n’en a sans doute pas perdu pour autant sa relation à la nature.
Et si je sens que celle-ci est en danger, ce serait alors en cela que j’aimerais intervenir, pour redonner la richesse de ce fondement.

Conter dans la sensibilité rurale

J’entends par là conter des contes se situant en milieu rural, avec ses relations humaines organisées de manière spécifique et sa relation à la terre cultivée.
Dans mon travail, je n’en suis pas familière et elle n’est pas la plus importante en nombre dans les contes de mon répertoire. Quand je conte ces récits, qui peuvent être africains ou chinois, je ne conte pas l’histoire spécifique d’une communauté et ne cherche pas à faire vibrer un monde social, des relations, des malices, des habitudes, qui ne me sont pas familiers. Mais je me relie malgré tout avec la sagesse de ce monde rural, et cherche à faire passer les valeurs de la vie paysanne.
J’ai beaucoup réfléchi à ce que peut être la vie paysanne et sa relation à la terre me bouleverse. Les notions du temps, du rythme, et de cycles qui sont pressenties ainsi sont fondatrices, apportent avec elles un calme et une sagesse indispensables.
Pour moi, ce sont les valeurs de la terre cultivée qui viennent, celles nées de l’action de l’homme sur la nature, et dont la symbolique est précieuse et universelle : l’aube, le courage de recommencer quand tout est dévasté, la joie de la solidarité, le rythme, la beauté du travail, le risque, la confiance que la terre va donner, et même « avoir de la tenue » (la profonde symbolique de fierté d’être, de dignité, que représente dans son fond, « l’habit du dimanche »), sont des valeurs qui m’ont aidée et nourrie.
Ce sont ces valeurs qui font mes choix dans mon répertoire, en ce qui concerne ces contes qui savent dire la terre, et que je tente de faire passer ensuite au public ou au lecteur, en les vivant et les faisant vibrer.. Je me sens alors ancrée, sans pourtant être l’émissaire d’un terroir en particulier.
Dans le conte « Le Buffle et l’Oiseau », par exemple, il m’est venu d’insister sur la nécessité d’attendre la récolte ; et dans la version écrite, ce temps fait tourner la page à l’enfant. Ainsi, on peut transmettre ces attentes, ces lenteurs spécifiques, et en montrer la relation à la germination d’une idée, d’une réflexion : plus loin, de même que le « riz pousse », l’homme réfléchit, avec la même lenteur.
Bien sûr, je sens que je parle comme « d’une autre planète » : on n’a plus l’habitude de cette attente paisible « que ça pousse » ! Pourtant ce conte est toujours immédiatement reçu, accueilli sans barrière, et intégré par ceux qui l’écoutent, comme une bonne nourriture...
La question posée de la réception de ces contes par le public urbain est importante bien sûr, mais il ne faudrait pas, pour répondre à une demande, en venir à perdre son lien à la nature.
Pour finir, je dirai qu’il est bon de se souvenir que sous le goudron, la terre est vivante et que les herbes médicinales poussent très bien, sur les vieux murs de la rue St Vincent….

Autres points

Quant à la question des petits lieux d’oralité qui se multiplient dans la ville, ils me semblent faire partie d’un remaillage de la population par le conte. Il paraît qu’on y conte parfois des « contes à la table », pour 3 ou 4 personnes… Cette posture entre le convivial et la représentation pose sans doute question à l’artiste qui s’approche ainsi… Comment sonner juste, dans cette intimité avec des inconnus, sans « faire du théâtre » ? je n’ai pas la réponse…
On trouve aussi sur ces problèmes d’oralité dans la ville la question profonde, il me semble, du fait que le public n’augmente pas réellement, mais qu’on a affaire à toujours le même dans tous les lieux…

La ville demande, certes, des contes qui se passent dans un imaginaire urbain. Mais le public a t’il vraiment besoin de cela ? Personnellement, j’aime bien l’idée de faire un pont, bien citadin, pour aller chercher l’auditeur là où il est , mais de l’entraîner après, plus loin…

Catherine Zarcate
Paris sept. 06

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