Vous êtes ici : Catherine Zarcate, Conteuse > A LIRE
   


La Matière des Contes
Eléments de base

Eléments de base concernant la Matière des Contes

Œuvres anonymes

Les contes sont des œuvres anonymes. Un auteur peut créer un roman, une nouvelle, une pièce de théâtre, etc., mais un conte ne se laisse que rarement créer par un seul homme. Il émerge d’un collectif.
L’auteur, en appui sur sa culture et ses influences, a la liberté de la page blanche. Le conteur, en appui sur un répertoire existant, le renouvelle, ravive cette matière traditionnelle, l’adapte à sa sensibilité, à son époque, la dépoussière, la taille tel un diamant pour mettre en valeur l’actualité de ses questionnements fondamentaux. Il ressemble au joueur de free jazz.
Chaque conteur n’est donc pas auteur de sa source mais bien de son style, sur l’instant de son dire ou lors de sa préparation.
Les frères Grimm, Perrault, Mme d’Aulnoy, Antoine Galland, Pou Song Ling, ont tous écrit en appui sur cette matière orale collective. Sous le nom de « Matière de Bretagne » on trouve tout ce qui concerne le Graal, sur plusieurs siècles et plusieurs pays.

Motifs et types classés

Les contes traditionnels ont été répertoriés au plan mondial par les structuralistes en un catalogue raisonné selon les types de structures, ces dernières étant universelles. Ce travail immense et précieux permet de repérer comme appartenant au même « conte type » des contes qui ont pourtant des motifs différents.
Par exemple, le conte type « Peau d’Ane » en France devient Peau de mille bêtes en Allemagne, ou Toutes Fourrures, ou Manteau de Bois en Afrique. Partout, sa structure symbolique concerne partout l’inceste et l’héroïne se couvre dans toutes les versions pour cheminer vers la résolution du problème. La diversité culturelle amène la diversité des motifs. Mais la structure symbolique se maintient.

Couches de mémoires

Les contes sont parfois très anciens et portent le témoignage des couches superposées de civilisations dans une même région. Il est parfois passionnant de trouver, sous la couche chrétienne, la couche païenne d’un conte populaire d’Europe.
Au conteur actuel incombe la tâche délicate de revisiter ces transmissions, en préserver la sagesse intrinsèque, mais dissoudre, transformer les fermetures et ostracismes désuets qui pouvaient y être véhiculés.

Imaginaire et symbolique

Le conte n’est ni dans l’historique ni dans la réalité, même si l’historien ou le politicien peuvent y trouver leur bonheur. Le conte n’appartient pas non plus à la fiction et l’imaginaire n’est pas son domaine. Il est régi par le monde symbolique : au plus profond, le plan des symboles travaille.

Ce genre « conte » suit des lois. Des personnages tels que Blanche Neige, Peau d’Ane, Tom Pouce, Jean de L’Ours, les Sept Corbeaux, ou Farizade, etc. n’ont pas la même « psychologie » que les personnages de théâtre, de romans ou de films. Par exemple, ils ont une simplicité apparente : ils ne sont pas ambigus. Un conte traditionnel définit très clairement chaque personnage car ce dernier assume une fonction précise, tant au plan de l’action qu’au plan symbolique.
Quand on « fabrique » un « conte moderne », si on ne supporte pas cette simplicité apparente et qu’on crée, par exemple, un ogre gentil ou un loup végétarien, on quitte le genre « conte » pour entrer dans la fiction car la fonction n’est plus respectée.
Pour être efficientes ces fonctions symboliques doivent être claires, précises, finement repérées : elles organisent la psyché humaine, trient, accompagnent le discernement, les passages, etc. Car, au fond, tous les personnages interagissant sont des représentations de ce qui se passe à l’intérieur d’un seul individu.
Si la bonté et la méchanceté y sont si clairement séparées en personnages différents, c’est que le mal ne peut pas être bon sans créer de confusion mentale. Le conte suit le destin de chaque personnage en suivant les lois de la vie même. Il écoute un ordre du monde qui nous dépasse, qui prône que la victoire est – au bout du conte, au bout de compte - du côté de la justice, que celui qui mérite reçoit.
On entend souvent parler de la « morale des contes ». Mais les conteurs et ethnologues qui les fréquentent assidûment voient combien les contes sont immoraux, subversifs par rapport à des ordres sociaux établis, dérangeants.
On pourrait aussi croire que le conte est « optimiste » ou « naïf ». Pourtant, les plus grandes spiritualités du monde arrivent aux mêmes conclusions…
On peut donc dire que les contes portent, par leur fin heureuse, une résolution interne satisfaisante au plan symbolique. Quand cela n’est pas le cas, c’est que le conte est tronqué, abîmé ou bien que la société qui l’a vu émerger ne connaît pas ou plus le chemin de l’accomplissement, de la résolution, de l’apaisement du problème exposé.

Bien souvent, en tant qu’individus, en tant qu’auteurs, nous sommes aux prises avec nos labyrinthes et nos propres démons et n’avons pas les solutions – la fin du conte ! Cette souffrance est la matière même du théâtre, des romans, de l’écriture artistique. Mais le conte, lui, semble avoir conservé des sagesses humaines vers l’accomplissement de l’être, le retour à l’équilibre, la santé.
Bien entendu, si chaque personnage se conduit de manière claire et simple, cela ne veut pas dire que la problématique exprimée par le conte soit simple. Peau d’âne est complexe car la manière de sortir de l’inceste est un chemin complexe.
Chaque conte a une direction sous jacente qui organise sa construction, son élaboration et son aboutissement, comme la coque d’un bateau a une pointe. C’est l’ensemble des personnages et leurs interactions qui assument la complexité. Il ne faut rien isoler. Un conte n’est jamais linéaire. Plusieurs personnages cheminent et c’est leur convergence qui crée la solution. C’est une merveilleuse mécanique à observer ! Tous les personnages sont portés par une même perspective comme les facettes d’un diamant.

Le plan poétique : Enchantement, Emerveillement et Réalité

Le conte est si complexe qu’il ne peut pas être une allégorie ou une parabole : son plan symbolique nous dépasse. Une fois la recherche de sens abandonnée car trop vaste, le conteur entre dans le domaine de la pure poésie ; l’enchantement et l’émerveillement deviennent alors actifs. Quand le conteur ne sait pas – plus - ce qu’il dit, n’envoie – plus - aucune interprétation, il laisse libre l’auditeur. C’est alors que les contes œuvrent réellement. Les personnages sont rendus à leur éternité, leur puissance. La parole atteint alors l’intime de l’auditeur, comme un message envoyé pour lui seul et que nul autre que lui-même ne connait.