Vous êtes ici : Newsletters > Avril 2016
   


EDITO

Nef

« Quand le conteur se centre et s’enracine, ses mots sont incarnés, presque physiques, emplis d’existence, bien sentis, bien choisis, bien envoyés ! Et ils rayonnent - au contraire des mots plats, secs et sans rebond, fades et fantomatiques qui hantent les discours.

Quand les mots portent ainsi, l’imagerie des auditeurs s’éveille facilement et une bulle se forme, englobant conteur et public dans un seul souffle : la magie opère. Le silence y est particulièrement majestueux. On parle souvent de communion pour en témoigner. Le conteur et sont public ont pénétré au sein d’un domaine mystérieux et y évoluent ensemble.

Mais où sommes-nous exactement et comment y rester ? Cette bulle est un espace-temps synchronisé : tous avancent ensemble et pourtant chacun pour soi écoute, voit et sent de manière autonome. Le conteur écoute son conte et cette bulle elle-même avec grand soin pour ne pas rompre le charme par une intervention intempestive, un humour déplacé, un raté de rythme, un doute, une perte de confiance, une pensée parasite, toutes choses qui brisent la magie. Le public écoute tout : l’union, le silence, le conteur, le conte et ses profondeurs.

Cette « bulle » faite de souffles ressemble aux Nef que chante Younous Emré en balayant et qui nourrissent sans qu’il le sache ceux qui traversent le désert pour rejoindre ce monastère même où son maitre lui a donné l’ordre, dix ans plus tôt, de ne pas quitter le balayage. Le sens de Nef est proche d’âme.

Oui, conteur et public créent ensemble un « nef ». Il est plein de bonnes choses que chacun y a mis : images, sentiments, visions, émotions, rêveries, mémoires et consciences. Un vrai jardin en permaculture ! Pourtant c’est fragile comme tout.

Cette Nef, si je puis jouer sur les mots, n’est pas du tout l’arche de Noé. Elle tient de la bulle de savon sur laquelle joue l’arc en ciel. Quand elle naît, la présence attentive de chacun augmente : chacun sent qu’il y participe et a conscience de la fragilité et pureté de l’instant. C’est cela même qui fait durer le charme. Jamais le conteur ne peut faire cela tout seul.

Telle est la vraie magie, la vraie beauté de l’art du conteur, qu’aucune machine ne pourra jamais enregistrer ni retransmettre car il faut y être pour la vivre. C’est la Merveille du métier. Ce trésor ne peut pas être saisi ».

Catherine Zarcate