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EDITO

Poétique des structures 3 : les versions

« Travailler un conte merveilleux à partir de plusieurs versions est devenu synonyme de sérieux. Encore faut-il ne pas s’y perdre - ou alors, au contraire, accepter de s’y perdre totalement. Un des écueils courants consiste à créer un « Golem » ou « Frankenstein » : un montage fait des motifs préférés issus de versions différentes. Apparemment, ça colle, mais le résultat reste stupidement mécanique. C’est qu’on aura assemblé des détails qui ne se mélangent pas bien au plan symbolique. La cohérence du conte en est perdue et crie silencieusement par en-dessous. Le conteur qui entend ce cri structural commence à avoir une bonne « oreille de pierre1 ».

Pour aller plus loin, une ruse consiste à trouver tant de versions qu’on en arrive au vertige. L’abondance crée un chaos et « on mélange tout ». Parfait ! C’est le but ! Il faut alors l’accepter et le chérir, le temps nécessaire. En parallèle, on muse vers les plans mythologiques, historiques, sociologiques et autres « iques », sous-jacents à notre conte ; on rend visite à ses voisins dans la classification mondiale des contes d’Aarne et Thomson - dans laquelle Cendrillon s’appelle T.510 A et Blanche-Neige T.709 (non, ce ne sont pas des noms de robots). On rencontre ses cousins de pays éloignés, on va à des expositions de monstres, zmeu, dragons et autres bestioles - au moins en illustrations.

Au fur et à mesure qu’on élargit nos recherches, les interrelations se multiplient entre les motifs, d’autres profondeurs surgissent et la dimension symbolique commence à se révéler. Une cohérence se fait alors sentir, qui dépasse et englobe les détails divergents des nombreuses versions. C’est là le véritable socle à partir duquel on peut laisser émerger une nouvelle version, qui sera sienne. Ainsi, les choix seront faits bien au-delà du joli ou de la volonté, mais en résonance avec une cohérence qu’on aura perçue.

Je dis « une » cohérence, car la merveille de ces contes, c’est que, dans leurs profondeurs symboliques, cohabitent de nombreuses cohérences. La vie n’a pas qu’un seul lecteur. »

Catherine Zarcate