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EDITO

L’oubli du temps

« Le conteur fait oublier l’heure, c’est bien connu. L’ennui, c’est qu’il l’oublie lui-même ! Cette attention à l’heure est difficile. Il faut pourtant se méfier, car pendant qu’on raconte, on perd réellement la notion du temps : une séquence longue passe très vite, un instant dure une éternité. Le temps subjectif à l’œuvre sur scène n’a rien de chronologique. J’ai le sentiment que quand que je conte, le temps est en accordéon, sans rien de linéaire.

Il faudrait approfondir cette dimension du temps vécu sur scène. Où va-t-on ? Sont-ce les moments où nous sommes « bons » qui passent si vite, ou tout l’opposé ? On entre tant dans nos images, dans le rêve du conte qui se déroule en nous, qu’on change de réalité, et quand on « revient », on ne sait pas combien de temps il s’est passé.

C’est comme ce conte chinois où des étudiants entrent dans le tableau, y vivent une vie et en sortent alors qu’il ne s’est passé qu’un instant… Peut-être sommes-nous ravis - au sens d’enlevés – par nos contes ? Existerait-il un conteur qui, tel Urashimataro, reviendrait au siècle suivant ? ;)

Le conteur s’enchante-t-il lui-même ? Car dans ces moments, on ne voit jamais les grands gestes des organisateurs affolés, les mouvements de derrières du public, les regards vers les montres ! La scène est un lieu de toute puissance : personne ne peut nous interrompre !

On perd conscience du cadre. Pour le maintenir, c’est tout un apprentissage. Je me souviens avoir appris à prendre conscience de mon pied, en plein récit, durant une seconde ; au début, ça me faisait perdre mon fil. Une fois trouvée cette « prise de terre » qui maintient la conscience globale du cadre et du temps, nous pouvons cultiver, au-delà de la magie de nos dires, la politesse des rois »

Catherine Zarcate