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Conter en ayant le public dans le dos

Conter en ayant le public dans le dos.

" En Indonésie, dans la tradition du wayang kulit, le célèbre théâtre d’ombres qui utilise de très fines marionnettes de cuir, le public peut suivre l’histoire des deux côtés du castelet : soit il s’assied face au grand drap où les ombres sont projetées, soit il le contourne et découvre l’orchestre gamelan, les chanteuses et le conteur de dos qui manipule ses marionnettes face au drap. Là aussi, des chaises sont proposées. J’ai pu assister l’autre soir à une telle séance et n’ai cessé d’aller et venir d’un lieu à l’autre sans arriver à choisir quelle magie je préférais !
Du côté des ombres, on entre plus dans l’histoire. La rêverie est première et très puissante. Du coté du conteur on est saisi par les couleurs des marionnettes, la vie du conteur qui fait toutes les voix, s’amuse, se passionne, crie ou supplie, bref, vit son histoire à fond, mais dont toutes les physionomies nous demeurent invisibles ! Jamais il ne se retourne. Parfois un enfant – peut-être le sien - saisit des marionnettes faites à sa taille et imite en arrière, sur le plateau devenu terrain de jeu, les gestes traditionnels. Cette transmission est invisible du côté des ombres portées.

Comme beaucoup de conteurs, j’aime conter dans le noir et remercie l’orage qui m’en donne trop rarement l’occasion ! Nous avons tous témoigné de sentir alors une intense proximité avec le public, une magie, un souffle qui nous unit... Et à nous tous, ce noir a enseigné que la perte des expressions de visage n’a aucune importance et que « ça passe autrement ».
Pour le conteur de wayang, par où ça passe ? Il est très concentré, par sa posture même, et aussi très animé. Le plus gros de l’histoire est pris en charge par la voix. Mais le plus fin, le plus émouvant - que nous faisons passer par la finesse du visage - lui ne peut pas le montrer. Alors, de sa main sensible, il le fait passer à sa marionnette et la rend bouleversante. Il y a là une très belle cohérence entre l’art et la posture. J’en reste émerveillée. " CZ